Planche cerises N 20 decembr 2020 compresse .pdf
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N°19 Vendredi 4 décembre 2020
Allons à l’essentiel !
Humeur de Cerises
29 % des femmes cadres disposent
d’une pièce spécifique, contre 47 %
des hommes, selon un dossier du
journal « Le Monde ». Décidément la
pandémie aggrave l’inégalité femmes/
hommes, en plus du déséquilibre
traditionnel du travail domestique.
Lutter contre le virus, ça sent le
combat global….
Pas plus de 6 pour la dinde à
Noël. Il va falloir passer aux cailles.
Attestation à l’appui.
Face à la pénurie de main d’œuvre, le
Premier Ministre canadien veut attirer
1,2 million d’immigrants-es d’ici 2023.
Mais 240 000 demandes restent
en attente à cause des imbroglios
administratifs et réglementaires. Vous
avez dit migration(s) ???
Agenda militant
5 décembre
René Char disait « l’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant ». Depuis le
début du 2ème confinement dans les médias deux mots reviennent souvent : utile
et essentiel. Mais qu’est-ce qui est utile et essentiel ? Qui décide de ce qui est
utile et essentiel ? Si nous étions dans une société autogestionnaire dégagée
du carcan néolibéral, l’essentiel résulterait de l’échange des points de vue. Mais
le gouvernement a décidé pour nous à partir de critères très contestables car
les choix qui s’imposent pour mener une politique de santé publique n’ont pas
été pris, et la dominante néolibérale nous mène une guerre sans merci. En mars
avril des dizaines de textes et d’appels ont fleuri çà et là pour appeler à penser
le monde d’après, mais sans suite réelle. Le déjà-là du monde d’après est à nos
portes. Alors construisons ici et maintenant la société que nous voulons : produire
du commun, permettre à nos imaginaires de donner du sens à notre vie, à notre
travail, à nos amours, à nos relations sociales.
La pandémie nous oblige à nous interroger sur ce qui est essentiel et ce qui ne
l’est pas. Nous pourrions affirmer que ce qui est essentiel c’est la bonne santé
physique et mentale, l’éducation, la culture, les relations sociales, le travail, la
mobilité. Le confinement a eu le mérite de déconfiner les imaginaires et de s’interroger sur nos vrais besoins. Comment produire du commun dans un univers voué
à la surconsommation (black Friday) pour satisfaire les actionnaires des grandes
multinationales ? Comment produire du commun quand on demande aux libraires
de fermer boutique et inciter les gens à commander sur Amazon malgré une mobilisation de leur part ? On peut affirmer sans ambages que la culture est essentielle alors que l’actionnaire n’a aucune utilité sociale. C’est un prédateur sans
vergogne. La culture dans son acception la plus large est essentielle pour relier
les Hommes entre eux. C’est à la base de toute société humaine depuis la grotte
Chauvet jusqu’à nos jours.
En marche !
Rennes
Marche hommage à Babacar
Partout en France
Marches contre le chômage
et la précarité
Marches pour les Libertés
et des Justices
Constat aussi que dans l’activité de travail certaines sont utiles et d’autres pas
du tout.
Des millions de gens veulent un autre monde mais le pensent
impossible. Alors nous devons agir et construire ensemble le
jour d’après.
Daniel ROME
Comme disait Gramsci « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. ».
1
LES NOTES D’ACTUALITÉ
Tout le monde déteste la loi « sécu
rité globale »
FI !
NO
SA
de
s
ire
na
on
ti
ac
s
le
r
re
vi
ut
fa
Il
Paul Hudson le D.G. de Sanofi
veut une marge opérationnelle
dépassant les 32% en 2025 et
cet objectif porte un nom :
Play to Win (joue pour gagner)
(belle appellation quand nous
parlons de santé humaine !).
Abandon d’axes thérapeutiques majeurs, où les besoins
non satisfaits sont légion : médicaments anti-infectieux, Système Nerveux Central, Diabète et cardiovasculaire, jugés
moins rentables, sans compter
le plan d’économie de 2 milliards € à coup de suppression
d’emplois et d’externalisation.
Arrêts de 200 médicaments
sur les 300 actuels du groupe,
certains sont des médicaments
d’intérêt thérapeutique majeur
mais dixit la direction à faible C.A.
nt des médicaments de synthèse.
en Europe dont 2 en France qui fabr ique
on
ucti
prod
de
sites
6
de
on
isati
rnal
Exte
ou la fermeture des sites de chimie
si elle s’avère exacte prévoit la vente
qui
e
nym
ano
note
e
d’un
er
parl
Sans
restants dans SANOFI après 2024.
nées ; c’est toute la filière pharrimés en 12 ans, des expertises abandon
supp
cts
dire
lois
emp
0
500
déjà
sont
Ce
le futur Alcatel des gâchis industriels.
maceutique qui est attaquée. Sanofi c’est
iards versés en 2020 soit en un seul
d’augmentation de dividendes (4 mill
ans
20
de
plus
c’est
OFI
SAN
t
rtan
Pou
ulés sur 10 ans, plus de 1,3 milliards €
au téléthon). SANOFI c’est aussi, cum
s
don
de
ées
ann
40
de
plus
nt
eme
vers
crédit d’impôt.
d’argent public perçus sous forme de
er les ruptures d’approvisionne-t-elle la chaîne du médicament : Évit
trise
maî
ce
Fran
la
s
ense
dép
s
telle
de
c
Ave
satisfaits, lutter contre la désindustriapour des besoins thérapeutiques non
es
erch
rech
de
axes
les
nter
orie
t,
men
est NON !
ent. A toutes ces questions la réponse
lisation : maîtriser les prix du médicam
tique, alors même qu’il dépend à
apeu
thér
eté
erain
r d’une prétendue souv
Comment un État peut-il se légitime
, salar iés, professionnels de santé, élus
La France se doit d’être à l’avant-garde
presque 100 % d’une industrie privée.
Recherche à la production. La santé
trise publique de cette industrie de la
et citoyens nous devons gagner la maî
t pas dépendre du seul écosystème
chère à notre sécurité sociale ne peu
est un bien universel, cette universalité
de biens marchands privés.
Thierry Bodin
2
Sécurité globale ! Parbleu, il fallait don
c faire passer ce texte à l’Assemblée dans les mei
lleurs délais.
Ce pouvoir est brutal pressé dangereu
x. Quelle
menace, quel enjeu dictent ces pratique
s?
La brutalité de ce pouvoir n’est-elle
pas l’exact
reflet de son incapacité grandissante
à obtenir un
consensus populaire quant à sa politiqu
e ? Non il
n’y a pas consensus populaire quant à
sa politique
budgétaire, sa politique de santé, sa poli
tique économique, sa politique scolaire ! La
loi sécurité
globale n’est-elle pas une tentative
supplémentaire d’empêcher l’expression et la tran
sfor mation
en actes de la volonté populaire ?
Début de réponse avec l’ampleur de
la mobilisation contre cette loi. Ce sam
edi 28 novembre dans plus de 70 ville
massifs se sont formés. Cette mobilisa
s des cortèges
tion s’inscrit parmi les plus importantes
depuis l’alternance des confinements.
les appels venus de toute la gauche
Notons que
politique, syndicale, associative, et mili
eux professionnels, dans leur extrême
nombreux, les pétitions multipliées. Tou
diversité ont été
t le monde déteste la loi « sécurité glob
ale ».
Alors la menace ? La démocratie en
actes comme arme populaire. Alors l’en
jeu ? Le pouvoir !
Que fait-on en république d’un pouvoir
qui multiplie les obstacles à l’expressi
on populaire, qui se résume à un parleme
un président et deux ministres tout-pui
nt croupion,
ssants ? Indignés, nuits debout, gilets
jaunes, le peuple sait inventer les lieu
construction des politiques de transfor
x, les formes de
mation, autant que les formes démocra
tiques qui font de l’intelligence et de
de chacun la force de tous.
la particularité
Catherine Destom Bottin
Complotisme : Séparer le bon grai
n de l’ivraie
Le complotisme, comme le populism
e est un mot- valise englobant tant
de réalités diverses qu’il est impossib
concepts récents sont propices aux ama
le à définir. Ces
lgames douteux et surfent sur la pert
e
de repères et la confusion. Ils sont les
idéologie qui ne dit pas son nom. La théo
éléments d’une
rie du complot ne fait- elle pas partie
d’un combat pour disqualifier les opin
qui vont à l’encontre de la politique
ions et les idées
néolibérale ? Des chercheurs ont mêm
e défini une « mentalité conspiration
racy Mentality-Martin Bruder). En vien
niste
» (Conspidrons-nous à la chasse aux sorcières
? Les gilets jaunes complotent, les islam
complotent. Je complote quand je dis
o-gauchistes
que les dirigeants du monde se concert
ent pour élaborer leur stratégie néolibé
cénacles comme la commission trilatéra
rale dans des
le ou le World Economic Forum. Pou
rtan
t c’est vrai et je peux le prouver.
L’institut Jean Jaurès nous apprend que
plus d’un français sur cinq, surtout jeun
e et défavorisé, « est perméable à la théo
plot » (enquête 2018). Ce résultat est
rie du combiaisé car le concept de départ amalgam
e ceux qui sont en recherche de véri
adeptes du complot. Tous ne sont pas
tés alter natives et
des adeptes de thèses paranoïaques, mai
s d’abord en quête de vérité, de sens
alter native du monde et de l’histoire.
et d’une vision
Comment s’en étonner quand le socl
e des valeurs qui permet une compréh
du monde s’effondre ; quand les men
ensi
on commune
songes et les trahisons des gouvernants
sont si nombreux qu’il n’est plus poss
confiance.
ible de leur faire
Le film « hold-up » cherche à détourne
r ces aspirations montantes vers des imp
asses. Il est construit sur le ressentiment
sur l’analyse ; sur l’affirmation plutôt
plutôt que
que la démonstration. Il ne propose
aucune solution alter native. Le « com
élites » relève du registre de l’apocaly
plot mondial des
pse annoncée plutôt que de celui du
combat. Ce film produit peur et imp
de ceux qui produisent ces amalgames.
uissance et fait le jeu
Il contribue à jeter le discrédit sur ceux
qui dénoncent le capitalisme renforça
les gens “raisonnables” qu’il n’y a pas
nt l’idée chez
d’alternative.
Dénoncer les menées qui peuvent se
cacher derr ière ces « théories du com
plot » ne suffit pas. Il est urgent de dém
de l’idéologie dominante et de poursuiv
onter ces concepts
re et d’amplifier le processus de politisat
ion du peuple amorcé depuis 2019. Il
l’effondrement de la confiance dans
montre que
les dirigeants et les institutions a fait
grandir chez beaucoup une nouvelle
capacité à faire par soi-même. En rega
confiance dans sa
gnant une estime de soi que les désillusi
ons, le sentiment d’impuissance avaient
mouvement populaire a montré sa capa
fait perdre, le
cité à produire du politique. Mais c’est
à la lumière des solutions alter natives
l’on pourra vraiment séparer le bon grai
prop
osées que
n de l’ivraie.
Josiane Zarka
3
HORIZONS D’ÉMANCIPATION
Vous avez dit
rapport de forces ?
Afin de mener à bien nos pratiques militantes, nous sommes les un(s)es et
les autres confronté(e)s à la notion de
rapport des forces. Mais peut-être cette
notion mérite-t-elle d’être davantage
précisée. Observons qu’elle est trop
souvent utilisée pour expliquer qu’on ne
peut pas faire mieux. Or le seul intérêt
d’analyser le rapport de forces est de
chercher comment le faire bouger dans
le bon sens.
Rapport(s) de forces
Qui dit rapport de force dit souvent rapport de force entre partis politiques.
Il y a pourtant un décalage depuis plusieurs années entre le peuple et « sa
représentation » dans les institutions notamment à l’assemblée nationale et au
gouvernement.
D’autres observent les luttes et parlent d’atonie du mouvement social.
Les 500 000 manifestants de ce samedi 28 novembre contre la loi Sécurité globale
n’avaient pourtant rien d’atone ! En témoignent les photos de Serge D’Ignazio qui
illustrent ce dossier.
L’équipe de rédaction de Cerises a donc invité des militants-es d’horizons divers
à creuser cette notion de rapport de force à l’occasion d’une visioconférence. Ce
dossier réalisé par l’équipe de rédaction de Cerises en retrace les principaux thèmes.
4
A l’aune de quoi le mesure-t-on ? A ce
que font ou tentent de faire les forces du
capital ? En partie, en partie seulement
car cela ne dit pas si elles le font parce
qu’elles sont à l’offensive ou sur la défensive.
Aux rapports de forces entre partis politiques ? Ce n’est qu’une indication :
une grande part de la population ne se
reconnaissant que peu ou même pas du
tout dans ce qu’ils sont. A la présence
dans les manifs syndicales ? Poser la
question c’est y répondre.
Peut-être faudrait-il partir du point de vue
que les gens ont quelque chose dans la
tête et que ce n’est pas parce qu’ils n’ont
pas (encore ?) trouvé les mots pour l’expliciter que l’on ne peut pas déceler à
la fois des éléments de mûrissement et
bien sûr du « pas encore là ».
Par exemple : comment analyse-t-on le
rejet de toute verticalité chez les Gilets
Jaunes ? Quels liens existent avec la revendication du RIC ? Les risques réels
de récupération par l’extrême-droite
sont-ils dus à un « glissement à droite »
de la société auquel il faut faire face en
entrant la tête dans les épaules ou à
une surdité de la gauche de la gauche
à l’égard d’attentes ? Autrement dit,
proposer quelques mesures (trois ou
quatre) radicalement anticapitalistes
est-ce trop élevé ou le moyen d’aider à
formuler des aspirations et de commencer à les faire devenir emblématiques et
dégager des possibles ?
A partir de cela, quels sont nos « instruments » de mesure ? Rapports de forces
électoraux ? Présences aux manifs ? Ce
sont des éléments réels. Mais ne faudrait-il pas davantage partir de ce que
les comportements traduisent comme
aspirations et que nous pouvons déceler
en allant au-delà de ce qui est explicité
? Peut-on considérer que même si ces
personnes n’ont pas trouvé les mots
pour expliciter leurs aspirations ni les
solutions pour y répondre, elles expriment des éléments de mûrissement qui
permettraient d’ouvrir un processus de
dépassement des limites et des ambivalences actuelles. Comment aborder les
dynamiques - parfois contradictoires possibles ?
Dans quelle mesure, l’analyse que nous
en faisons interpellerait-elle notre militantisme ?
Beaucoup de questions auxquelles ont
bien voulu répondre Danielle Carasco,
Le seul intérêt
d’analyser le
rapport de forces
est de chercher
comment le faire
bouger dans
le bon sens
Micheline Cognard, Colette Corfmat,
Bruno Dellasudda, Sylvie Faye Pastor
d’Ensemble, Marcelle Fébreau médecin généraliste et syndicaliste, Julien
Gonthier Solidaires industrie, Michèle
Guerci NPP Militante antiraciste, Christine Poupin NPA et militante féministe,
Patrick Silberstein Éditeur, Céline Verzeletti CGT responsable confédérale des
questions liées à l’antiracisme, ainsi que
Benoît Borrits, Catherine Destom Bottin,
Bénédicte Goussault, Alain Lacombe,
Sylvie Larue , Christian Mahieux, Henri
Mermé, Daniel Rome, Pierre Zarka de
l’équipe de rédaction de Cerises.
Un grand merci aux contributeurs et
contributrices à ce débat.
L’équipe de rédaction
5
Rapport(s) de forces
Nommer et caractériser
le rapport de force
Michèle Guerci souligne que dans les
périodes historiques, où le capitalisme
était en difficulté ça a favorisé la montée
du fascisme. « Or aujourd’hui, il y a cette
crise sociale dingue, cette offensive
terrible du pouvoir qui porte des coups
sans qu’en face on ait gagné quoique ce
soit, et il y a une montée de la fascisation avec au cœur la question des musulmans. De la même manière que les juifs
dans les années 1930 ».
Marcelle Fébreau : « La stratégie des
forces capitalistes en face, c’est en gros
soit je récupère, soit j’extermine par la
répression et la violence. Peut-être l’absence de représentation limite-t-elle la
récupération mais ça expose à une répression violente. Ces enjeux de la peur,
(comment on se sent vulnérable ou pas)
peuvent influencer nos positionnements
et le rapport de force ».
Pour Christine Poupin, les rapports
de force sont dégradés. « On est dans
une situation de grande instabilité dans
laquelle les retournements sont toujours
possibles. A ce moment-là nous devons
être capables de prendre des initiatives.
On va être de plus en plus amené à faire
de la politique en temps de catastrophe.
La stratégie
des forces
capitalistes c’est
soit je récupère,
soit j’extermine
6
Sur la pandémie on ne mesure pas à
quel point le débat actuel se déroule
sans nous ».
rapport de force c’est encore plus vrai
actuellement avec la crise de la Covid et
ses conséquences.
Certains propos nuancent l’idée d’un rapport de forces négatif. Sylvie Faye Pastor (médecin généraliste en zone rurale)
précise à partir de son expérience professionnelle, en insistant sur la nécessité
de prendre les choses comme les gens
vivent. « J’assiste à une évolution. Il faut
prendre la mesure de la démoralisation,
de la dégradation de l’image de soi, en lien
avec le management appliqué dans les
boites ». Mais, selon elle, la Covid a une
force pédagogique insoupçonnée. Les
gens mesurent que le capitalisme se fout
du nombre de morts. « J’en vois de plus en
plus qui, à propos d’accidents ou maladies
professionnelles, affrontent leur direction
d’entreprise pour qu’elle reconnaisse leur
responsabilité. C’est nouveau ».
« Mon impression depuis quelques années – nous dit Patrick Silbersteinc’est que le rapport de force est globalement dégradé mais plutôt dans un phénomène en dents de scie ».
Catherine Bottin-Destom abonde :
« Je suis noire et femme, et je fais nettement moins la gueule que durant les 50
dernières années. A Aubervilliers, mon
expérience à l’école c’est toute la cour
de récréation, qui me saute dessus en
me disant « négresse à plateau retourne
dans ton pays ». Et la plus gentille de
mes copines me défend en disant que
« ce n’est pas de ma faute ». Femmes et
noires, ce que nous vivons c’est un rapport de forces profondément amélioré.
En faisant des quartiers populaires des
lieux de relégation, les dominants en ont
fait aussi, des lieux d’émergence d’un
en-commun ».
Henri Mermé et Patrick Silberstein
indiquent tous les deux qu’en général
c’est a posteriori qu’on constate l’état du
Pierre Zarka se dit nuancé quant à la dégradation du rapport de forces. « Quel était-il
réellement au sortir de « la gauche plurielle?
Depuis les Gilets Jaunes, la contestation du
système à fait réapparaître le mot capitalisme. Aujourd’hui, faire partie du peuple, de
celui que l’on n’écoute pas devient une identification collective. La défiance à l’égard de
toute représentation est due à l’expérience
du dessaisissement par les leaders et on
veut faire par soi-même. Cette conscience a
grandi pendant la crise sanitaire. Cela ouvre
la porte à une redéfinition de la légitimité politique. Être hors système aussi. L’arrogance
des forces du capital masque leur inquiétude. En août 2019, une réunion organisée
par le Medef reconnaissait une mise en
cause violente du système partout. Et Sarkozy y indiquait où est le verrou : tant que personne ne propose un autre système nous
pourrons trouver des contre-feu ».
Bruno Dellasudda: « le terme de rapport de force est polysémique. Le mouvement féministe et le terrain écolo-climatique montrent la nécessité d’une
analyse fine. C’est difficile d’en mesurer
le poids mais ce sont pour nous des
points d’appui essentiels pour la transformation de la société ».
Alain Lacombe : « Il est de plus en plus
clair pour de plus en plus de monde que
Julien Gonthier : « il y a la question
du militantisme - des réseaux sociaux et
du militantisme. Trop de camarades ont
délaissé la présence dans les cités ou
dans la rue pour aller sur les réseaux
sociaux. Nous avons besoin d’être dans
le quotidien des gens et avec eux. C’est
primordial. Les gilets jaunes nous ont
bousculé. On peut tirer de leur mobilisation qu’à partir d’une revendication
concrète du quotidien, on renvoie à la
question du partage des richesses, et
tous peuvent s’y retrouver et s’investir ».
Il apparaît que les critères que l’on
choisit pour apprécier le rapport
des forces déterminent l’analyse.
Benoît Borrits: « S’il n’y a pas la perspective d’une autre société possible
quoiqu’on fasse, les luttes seront toujours défensives. Inversement s’il y a une
vision commune d’une autre possibilité,
d’un au-delà à la société dans laquelle
nous vivons, alors les luttes peuvent devenir offensives ».
Pierre Zarka : « N’enfermons pas notre
vision du rapport des forces aux partis
politiques et dégageons-nous des étiquettes qui conduisent à plaquer sur
des groupes sociaux des systèmes de
représentation élaborés en dehors d’eux.
Cela nous libère pour faire un travail de
déchiffrage du mouvement populaire et
© Serge d’Ignazio
Tous les participant(e)s n’ont pas la même vision
du rapport de forces.
le capitalisme nous mène dans le mur.
Ce n’est pas pour lui un signe de force.
Il n’a plus les marges de manœuvre nécessaires pour le compromis social, et
pour ceux qui luttent, il en résulte un
sentiment de défaite. Alors qu’en s’affaiblissant, le capitalisme devient plus
dur. Mais cela n’indique pas un rapport
de force plus favorable pour lui. D’où
l’inquiétude dans son camp : ce matin
sur Europe 1, Sarkozy déclarait qu’on
pouvait s’attendre à un mouvement de
gilets jaunes puissance 10 ».
chercher où sont les points d’appui qui
nous permettent d’intervenir efficacement ».
Et comment se comporter devant ce
rapport de forces ?
Patrick Silberstein : « Il y a une fâcheuse tendance à en faire un justificatif
pour baisser la barre et choisir le plus
petit commun dénominateur. L’appréciation du rapport de force n’a de sens que
si on a des objectifs, une stratégie offensive à tous les niveaux en particulier politique et électoral. Sinon on ne sait plus
à quoi servent les forces de la gauche
de gauche. Au compte du rapport de
forces, il y a ce que nous faisons ou ne
nous faisons pas ».
Marcelle Fébreau : « Pourquoi pas une
stratégie du liseron, plutôt que d’être un
chêne qui va se voir en plein milieu du
champ ? D’être comme une mauvaise
herbe, qui va se faire arracher, mais qui
finalement va repousser tout le temps,
sous des formes différentes, à des endroits inattendus. De plus, n’est-ce pas
le moment de parler d’hétérogénéité ?
C’est-à-dire de se sentir solidaire sans
obligatoirement viser à être tous pareils? ».
Christian Mahieux relève que les deux
syndicalistes (Solidaires et CGT) ont dit
des choses qui se ressemblaient beaucoup, notamment à propos de travail
syndical. C’est aussi une des clés importantes dans la période. Ils formulent les
mêmes questions avec les mêmes réponses, ils évoquent les mêmes difficultés qui se posent, au moins dans la CGT
et dans Solidaires, et dans quelques
autres organisations.
Julien Gonthier : « Il ne s’agit pas de
hiérarchiser les luttes mais plutôt de les
globaliser. Mais la convergence n’est
pas non plus la simple addition de luttes.
Dans le passé, les grandes luttes sont
celles qui ont fédéré.
7
Rapport(s) de forces
Que faire des défaites
et/ou échecs ?
Quelques exemples concrets permettent
d’adosser la réflexion :
Danielle Carasco parle d’échecs dans
la lutte aux cotés des migrants : « On
est au front de manière acharnée depuis
le printemps mais il ne se passe absolument rien. Il y a une tentative d’action
en décembre sur la journée des migrants
mais on n’y arrive pas. Il ne faut pas se
démoraliser mais c’est quand même décourageant ».
Céline Verzeletti pointe aussi des
défaites dans les luttes syndicales « La
mise en place de « réformes » telles que
celles sur la retraite ou les lois travail en
2016 imposées de force pour montrer à
ceux qui se mobilisent que les mobilisations ne servent à rien ».
Christine Poupin évoque les rapports
à l’État et à la loi : « Un terrain sur lequel
on n’arrête pas de perdre c’est tout ce
qui concerne la dimension autoritaire de
l’État sécuritaire. État d’urgence, nouvelle loi, état d’urgence, nouvelle loi etc.
Loi contre le séparatisme. Cela a des
effets extrêmement concrets. Il s’agit de
l’appareil de répression ».
Enfin, l’expérience de Syriza évoquée par
Bruno Dellasudda est très présente
dans tous les esprits : « Un exemple
concret très douloureux! L’expérience du
Les forces
alternatives
n’ont pas osé
franchir le Rubicon
8
Gouvernement Syriza s’est très mal terminée. Tsípras a fini par capituler. Il y a eu
un débat à gauche polarisé essentiellement par la question de la sortie de l’euro
ou même le départ de l’UE. Même si ce
débat n’est pas secondaire, il n’était pas
la priorité. Il y a eu une série d’enquêtes
d’opinion qui montraient que quelles que
que soient les difficultés et malgré la politique abominable imposée par la troïka, la
majorité de la population ne souhaitait ni
sortir de l’euro ni de l’UE ».
Mais les échecs permettent ou
obligent à la réflexion.
A propos de Syriza « on est passé à
côté du rapport de force et ce à double
échelle. Il n’y a pas eu assez de solidarité au plan international mais elle aurait
été plus facile à construire s’il y avait une
telle mobilisation » selon Bruno Dellasudda.
Pierre Zarka émet une autre
hypothèse : « Pourquoi les expériences
démocratiques en Grèce (Syriza) ou au
Brésil, ont-elles échoué ? Parce que tout
à coup les peuples ont viré à droite ?
Ou parce que dans ces cas les forces
alternatives n’ont pas osé franchir le Rubicon. Les termes mêmes du référendum
en Grèce annonçaient la suite. Lorsque
l’on prend l’initiative d’un référendum
c’est pour que la bonne réponse soit
OUI à l’alternative. Cette fois la bonne
réponse a été Non. Cela veut dire que
Syriza était resté sur le terrain de l’adversaire et pas sur celui qui aurait dû être le
sien. Il n’y a plus d’espace possible ou
de « presque » qui permette de répondre
aux besoins sociaux ou démocratiques
sans briser la domination du capital.
Nous sommes entrés dans le temps
d’une incompatibilité qu’il nous faut affronter sans tergiverser ».
Les défaites peuvent aussi avoir des
effets positifs : s’il y a défaite, c’est
qu’il y a eu lutte et celles-ci permettent de construire des liens, de
créer du collectif et de se mettre en
mouvement
Céline Verzeletti : « Il faut du temps pour
élaborer les revendications qui permettent
de mettre en place une lutte, de créer un
rapport de forces qui permettent de gagner sur des objectifs fixés et qui sont de
vrais besoins. Pour évaluer un rapport de
forces il ne faut pas seulement regarder les
résultats. Il peut y avoir des revendications
portées qui n’aboutissent pas et d’ailleurs
il y a de plus en plus de revendications qui
n’aboutissent pas. En effet le rapport de
forces ne se mesure pas uniquement à ce
qui a été gagné car le simple fait d’avoir
su construire un mouvement à un moment
donné, d’avoir débattu sur ce qu’il fallait
faire et que différentes personnes se soient
mises en mouvement tout cela crée du collectif. Alors que l’on constate que l’on a de
plus en plus de mal pour créer du collectif
sur le lieu de travail, le simple fait de rechercher collectivement à obtenir des résultats
correspondant aux besoins exprimés par
les salariée.es créée un rapport de force
quel que soit le résultat ».
Christine Poupin ne partage pas tout à
fait ce point de vue : « Qui donne le la du
débat dans cette situation extrêmement
difficile ? Quand on a perdu une bagarre
on l’a perdue. Il faut prendre les choses
au sérieux. Le fait d’avoir perdu contre la
loi travail et la destruction des CHSCT
ce n’est pas juste désagréable. Les
CHSCT c’était un des seuls outils qu’on
avait réussi à s’approprier. Quand on a
perdu on a perdu. Cela ne veut pas dire
qu’on n’a rien fait, qu’on n’a pas construit
des liens, qu’on n’a pas fait avancer des
choses dans les têtes ».
Peser néanmoins
sur les rapports de force
Patrick Silberstein « L’essentiel c’est
de mettre en musique un certain nombre
d’expériences, celles du passé comme
Lip par exemple mais aussi celles qui
existent aujourd’hui. Car ce type de mobilisations permet de peser sur le rapport de force et si c’est intégré dans une
stratégie politique ça permet d’avancer à
une échelle de masse un certain nombre
de questions. C’est aussi cela qui devrait
nous permettre aujourd’hui de réfléchir
sinon cela risque de nous laisser entraîner à réduire nos ambitions. ».
© Serge d’Ignazio
Quelques défaites plus ou moins cuisantes jalonnent la vie politique et l’engagement des forces de gauche depuis 10 ans. Quelles sont-elles concrètement et
qu’en faire ?
Et faire avancer les « choses »
Sylvie Larue : « Je voudrais qu'on
réfléchisse sur ce qu'on appelle des défaites. Ou des non victoires. Je pense
que cela devient de plus en plus compliqué pour les forces du capital de céder.
Il me semble qu’on est à un moment du
développement du système capitaliste, un
moment de crise qui fait émerger ces réponses autoritaires ou des gouvernements
autoritaires ou des répressions. Christine
nous parle d’hégémonie. Il faudrait qu’on
soit plus précis dans l’analyse des majorités d’idée. Il me semble que dans les majorités d’idée il y a des choses qui avancent
certes cela ne se traduit pas tout de suite
par des victoires dans les luttes comme
l’abandon de la loi travail, comme des mesures concrètes pour préserver le climat, il
y a des majorités d’idées sur lesquelles on
peut s’appuyer pour continuer à booster
ce rapport de force. Il y a de plus en plus
de gens convaincus que le capitalisme est
en train de nous mener dans le mur ».
Les soulèvements
populaires,
les processus
révolutionnaires de
ces dernières années
sont des points
d’appui
Céline Verzeletti : « J’ai entendu dire
qu’il y a des batailles que l’on a perdues et
si elles sont perdues, elles sont perdues.
Je ne partage pas tout à fait ce point de
vue, une bataille perdue ne veut pas dire
que l’on a tout perdu et pour gagner des
grandes victoires, les petites batailles permettent d’accéder ensuite à des grandes
batailles et des grandes victoires. Les
choses doivent se faire progressivement.
Si on ne passe pas par là, on arrivera pas
à obtenir quelque chose ».
Les défaites sont aussi
des points d’appui
Céline Verzeletti : « A propos du
mouvement féministe et sur le terrain
écolo-climatique : de fait il y a depuis
plusieurs années maintenant une révolution féministe mondiale même si ses
développements sont inégaux et aussi
de nos jours dans les jeunes générations particulièrement une conscience
écolo-climatique de plus en plus forte.
Comment mesurer cela ? C’est effectivement difficile mais ce sont pour nous
des points d’appui tout à fait essentiels
pour la transformation de la société toute
entière ».
Bruno Dellasudda : « Je crois que ça
il faut l’avoir en tête pour relativiser les
choses, et considérer aussi que tous les
soulèvements populaires, les processus révolutionnaires de ces dernières
années sont des points d’appui très importants qui nous amènent à considérer
avec prudence l’évaluation du rapport de
force ».
9
Rapport(s) de forces
Pour créer du rapport de force,
il faut s’organiser
Redéfinir
le rôle
des organisations
miitantes et il faut se demander pourquoi
elles ne se reconnaissent pas dedans.
Julien Gonthier remarque aussi que
les Gilets jaunes se sont réapproprié
l’espace public différemment des organisations traditionnelles, des manifestations publiques République-Nation, ils
ont développé de l’affrontement avec le
pouvoir. Ils ont repris les endroits où ils
vivent et la revendication est principale.
Micheline Cognard fait part de son
expérience dans un groupe de Gilets
jaunes de l’Eure où les débats étaient
difficiles, parfois traversés par des idées
d’extrême-droite mais où plusieurs organisations dont la Cgt, Ensemble, le Npa
ont œuvré pour faire basculer les débats.
Cela s’est traduit par des convergences
sur d’autres combats par la suite.
Des organisations affaiblies et non représentatives
Céline Verzeletti parle aussi de la
marginalisation et de la répression des
luttes menées depuis des années. « Ça
a été flagrant avec l’apparition des gilets
jaunes. Mais ça a aussi été le cas depuis
2016 pour les organisations syndicales
et à la CGT nous l’avons perçu comme
cela. Nous avons été traités de « terroristes » alors que nos actions ne se fai-
La mobilisation
des Gilets jaunes
s’est faite
en dehors de forces
constituées
10
saient pas de cette manière. Il y a une
volonté de marginaliser les personnes
qui sont à même de s’organiser ».
Selon Michelle Guerci tout le monde
est écœuré par l’état de la gauche. « L’incapacité de la gauche à réagir sur le plan
de l’hégémonie culturelle de manière unifiée sur les questions de l’islamophobie,
la domination de l’extrême droite au point
qu’on ne débat qu’avec elle et le refus
de dire clairement qu’il y a danger aujourd’hui autour des musulmans lui paraît
rédhibitoire ».
Christian Mahieux rappelle qu’on ne
sait pas trop de quoi on parle lorsqu’on
dit la gauche.
« Parmi les organisations associatives,
syndicales, politiques, que l’on peut
placer sous le qualificatif « de gauche »
il est important de débattre, travailler ensemble ».
Pas de mobilisation sans force organisée pour Céline Verzeletti : « il faut des
espaces dédiés pour discuter, débattre,
mettre en perspective des revendications ».
Reconstituer les forces militantes ?
Julien Gonthier : « C’est bien de mener
des batailles d’idées, c’est bien d’avoir
une visibilité sur les réseaux sociaux,
c’est encore mieux quand on a des médias qui pèsent ou des médias alternatifs
par rapport aux médias dominants, mais
la présence dans le quotidien des gens
est importante ».
Céline Verzeletti : « Il nous faut reconstituer ces forces militantes au plus près
de la population, par rapport à ses préoccupations quotidiennes. On ne peut pas
les reconstituer comme on le faisait il y
a trente ou quarante ans. Aujourd’hui,
on n’est pas suffisamment représentatif
de la population et des salariés. C’est
une autocritique et si on n’est pas suffisamment représentatif, on ne peut pas
construire ce rapport de forces. Dans
le rapport de forces, il y a une notion de
masse, et si on n’a pas cette masse, cela
sera difficile d’instaurer un rapport de
forces ».
Pour promouvoir l’auto-organisation, agir
dans les moments de crise qui vont se
multiplier, Christine Poupin pense qu’il
est nécessaire de construire les outils à
la fois programmatiques mais aussi organisationnels qui permettent de préparer
la suite.
Des organisations qui ne se substituent pas au mouvement populaire
Céline Verzeletti remarque que la mobilisation des Gilets jaunes s’est faite
en dehors de forces constituées, elle
s’est faite à partir de revendications que
l’on partageait ou pas avec des gens
qui ne se connaissaient pas et de nouveaux espaces ont été créés, comme
les rond-points. Certaines populations
ne se reconnaissent pas dans les forces
© Serge d’Ignazio
« Si nos organisations n’arrivent pas à
augmenter en terme d’adhérents c’est
très compliqué de mener des batailles
dans leur ensemble », nous dit Julien
Gonthier.
L’ affaiblissement des organisations n’est
évidemment pas un bon signe mais selon Sylvie Larue
« il est nécessaire de comprendre pourquoi il y a cet affaiblissement. Il y a beaucoup d’éléments objectifs : la casse des
collectifs de travail, l’éloignement des
lieux de décision, l’inefficacité à inverser les processus impulsés par les forces
du capital... Mais la raison essentielle ce
sont des organisations qui se substituent
au mouvement populaire ».
Pour Pierre Zarka il s’agit de se dégager
des étiquettes qui conduisent à plaquer
sur des groupes sociaux des systèmes
de représentation élaborés en dehors
du mouvement populaire. La défiance à
l’égard de toute représentation est due
à l’expérience du dessaisissement par
les leaders et de ce fait à la montée du
« faire par soi-même ».
L’envie de maîtriser les choses est un
point d’appui selon Sylvie Larue. « Il faut
donc redéfinir le rôle des organisations ;
comment peuvent-elles aider et comment
peuvent-elle contribuer à alimenter ce
refus de délégation, comment on passe
à la marche au-dessus? ».
Patrick Silberstein: « Tant que la dite
gauche ou une fraction de cette dite
gauche ne s’oriente pas directement
vers la reconnaissance de l’auto-organisation des couches populaires dans
les quartiers populaires, telles qu’elles
sont, la question du rapport de force, et
la question de la construction de l’unité
n’avanceront pas ».
Fabriquer des outils, des terreaux
fertiles pour des mouvements qui
vont les dépasser
Marcelle Fébreau se demande si le
rôle des groupes qui s’organisent - ou
en tout cas essaien t- ce n’est pas
avant tout de fabriquer des outils, des
terreaux fertiles, pour des mouvements
qui vont les dépasser. Et qui vont de
toute façon transformer leurs organisations, voire en produire d’autres, complètement. Elle pense là par exemple
aux violences policières qui ont été très
visibilisées médiatiquement au moment
du mouvement des Gilets Jaunes, c’est
selon elle le fruit du travail des comités
Vérité et Justice des quartiers populaires, qui existaient depuis des décennies, qui ont fait le job. De dire ce que
c’est cette répression d’État, comment
on s’organise, quels sont les outils
pour y faire face.
Repenser différemment ces forces
organisées, c’est-à-dire dans leur
fonction, dans leur pratique et dans
leur fonctionnement, pour Bruno Dellasudda elles doivent aider aux luttes
et aux mobilisations, elles doivent aider
à l’émancipation et à l’autogestion et
en aucun cas se substituer à l’activité
autonome et spécifique des citoyens,
des citoyennes, des salarié.es etc.
« Dans les espaces de l’émancipation, on doit abandonner toute logique
de rapport de force, de violence, de
domination, de soumission et de compétition qui nous sont imposés par les
standards capitalistes. Du côté de la
gauche, des écolos, des mouvements
sociaux, des mobilisations citoyennes,
des nouvelles formes d’organisations
ou anciennes, aujourd’hui, nous devons avancer sur le terrain du dialogue,
de l’unité d’action et de la coopération,
c’est l’alternative au rapport de force
et à la concurrence dans le camp de
l’émancipation ».
11
© Serge d’Ignazio
Rapport(s) de forces
Il s’agit en fait de s’interroger sur l’état
d’avancée de l’émergence d’une société qui soit le lieu de la libre association
d’hommes et de femmes, libres notamment de toute domination quelle qu’en
soit la nature et le caractère.
des deux dernières décades, il est actif
partout sur la planète avec ses mobilisations, ses rassemblements, ses succès
notoires, malgré la brutalité à son égard
des régimes fascisants d’Europe ou
d’Amérique.
La rencontre autour de la notion de rapport de force pour riche qu’elle ait été ne
s’est guère attardée sur une domination
qui est l’objet d’un mouvement mondial,
quelque chose qui est de l’ordre d’une
révolution planétaire. Le mouvement féministe a dépassé ses atermoiements
Le mouvement des femmes a pris un caractère universel quant à la géographie,
universel quant aux motifs de l’action,
universel quant à l’installation dans la
durée. En cela il a cessé d’être le combat contre une domination seconde, domination dont la fin était attendue pour
le lendemain du grand soir, puisqu’on le
savait bien, une fois pris le palais d’hiver
tout irait mieux.
Notre rencontre n’a guère abordé le
rapport de force extrêmement amélioré
entre les forces de l’émancipation et les
forces patriarcales.
Le mouvement
des femmes
a pris
un caractère
universel
12
Néanmoins Danielle Carrasco oppose l’atonie du mouvement populaire
dans les lieux où elle milite, à la vitalité
du mouvement des femmes : « Dans le
mouvement des femmes c’est plutôt l’in-
verse, il y a une radicalisation et sur le
plan international on voit que ça bouge
aussi beaucoup. Sur l’international on arrive à se connecter entre les différents
mouvements c’est plutôt stimulant. On
a quand même fait reculer le pouvoir en
Pologne ». Céline Verzeletti évoque :
« les mobilisations réussies quant à
l'égalité hommes femmes ». Catherine
Destom Bottin puise dans son expérience personnelle l’appréciation suivante : « je suis noire et femme et bien
quant au rapport de force très honnêtement je vous jure que je fais nettement
moins la gueule que durant les 50 dernières années ».
De Paris à Varsovie, en passant par le
bureau ovale de la Maison-Blanche la
violence à l’égard du mouvement féministe est le fait de ceux qui n’entendent
pas que la domination de genre probablement la plus vieille de l’histoire de
l’humanité prenne fin, ce serait une des
plus mauvaises nouvelles pour toutes les
dominations que trimballe encore l’humanité.
© Serge d’Ignazio
♫♫ Où sont les femmes
A l’international ?
On ne saurait dire l’état du rapport
de force en se limitant à la situation
d’un seul pays. Henri Mermé invite
à « retrouver cette tradition du mouvement ouvrier de peser le rapport de
force à l’aune de ce qui se passe sur
la planète ». Bruno Dellasuda lui emboîte le pas quand il affirme : « on ne
peut évaluer le rapport de force qu’à
l’échelle internationale. Pour nous qui
sommes internationalistes et altermondialistes ça va de soi mais dans les milieux militants, il y a des résistances et
des difficultés à percevoir cet aspect
des choses. »
Les combats d’ici puisent de l’énergie, de l’intelligence et de la stratégie à
l’aune des combats de là-bas. Mais plus
fondamentalement, la mondialisation capitaliste absolue fait que le combat de
classe, s’il est échec des dominé d’ici
l’est aussi des dominés de là-bas. Mais
l’inverse est tout aussi vrai. Leurs avancées sont les nôtres, elles confortent nos
batailles.
Henri Mermé recourt à la notion de
ligne de crête. D’une part il y a : « la dimension positive des changements au
travers des luttes sociales des luttes dé-
mocratiques qui se sont déroulées dans
diverses régions du monde comme un
nouveau cycle de lutte depuis le précédent des années 2010 2011 » . D’autre
part souligne-t-il : « en parallèle à ces
éléments positifs qui vont dans le sens
du changement il y a contradictoirement
lié à la crise de la COVID des conséquences économiques et sociales dont
on perçoit tout juste les premières manifestations évoquant ces dynamiques
contradictoires ». Il invite à user de la
notion de ligne de crête : en raison de
la pandémie le développement des luttes
populaires s’essoufflent en même temps
13
Rapport(s) de forces
Bruno Dellasuda souligne la nécessité
d’analyse affinée pour dire le rapport de
force à l’échelle internationale et de citer la décennie 2010 2020 : « marquée
en 2019 par des luttes et des processus révolutionnaires amorcés dans différentes régions du monde. » Cependant
s’il évoque l’exemple de la Grèce en
2015 c’est pour que les écueils qui l’ont
brisée soient utiles aux réflexions d’ici et
maintenant : « ce qui est frappant c’est
que la gauche au pouvoir n’a jamais essayée d’organiser une véritable mobilisation populaire , il semble que c’est essentiellement ce qui a manqué dans la
construction du rapport de force sur lequel le pouvoir aurait pu s’appuyer dans
ses négociations
Passer de la
lutte locale
sectorielle à la lutte
interprofessionnelle
et à la lutte
internationale
14
Pierre Zarka lui aussi questionne l’expérience grecque : « pourquoi les expériences démocratiques en Grèce avec
Syrisa ou au Brésil ont-elles échoué ?
Parce que tout à coup les peuples ont
viré à droite ? Ou parce que les forces
alternatives n’ont pas osé franchir le
Rubicon ? Les termes mêmes du référendum en Grèce annonçaient la suite.
Lorsque l’on prend l’initiative d’un référendum c’est pour que la bonne réponse soit oui à l’alternative cette fois la
bonne réponse a été non cela veut dire
que Syriza était resté sur le terrain de
l’adversaire et pas sur celui qui aurait dû
être le sien avec la troïka et c’est ce qu’il
a refusé de faire. »
Patrick Silberstein : s’il affirme que «
évidemment l’appréciation du rapport
de force à l’échelle internationale est
l’élément déterminant ». Il invite néanmoins à la circonspection : « ainsi, estce que la victoire aux élections US de
Biden change le rapport de force ? Un
peu sans doute mais pas seulement !
Est-ce que les forces progressistes aux
USA peuvent se contenter de soutenir
Biden ou défendre leurs orientations
propres ? ».
Dans l’analyse du rapport de force entre
dominants et dominés, la mondialisation
du travail est décrite comme facteur aggravant de l’état du rapport de force.
C’est ainsi que Céline Verzeletti souligne qu’: « au plan international il y a la
mise en concurrence des salariés des
différents pays et le développement des
multinationales qui, pour les salariés,
sont un éloignement des lieux de pouvoir
et cet éloignement pousse à la démobilisation ».
Julien Gonthier va dans le même sens
en s’interrogeant : « Sur la question des
luttes comment passer de la lutte locale
sectorielle à la lutte interprofessionnelle
et à la lutte internationale. Demain on
peut bloquer deux tiers des usines Renault en France cela ne suffira pas à
gagner le rapport de force puisque aujourd’hui le rapport de force est effectivement mondialisé.
Néanmoins Julien Gonthier n’en reste
pas à son interrogation : « et même si
on fait du travail international en luttant
contre les stratégies concurrentielles
entre les salariés, on est confronté à des
stratégies d’en face qui sont bien ficelées pour nous diviser »
Bruno Dellasuda pose qu’il faut regarder le rapport de force à l’échelle internationale de façon balancée. Ainsi, à la
fascisation d’un certain nombre de régions du monde, il oppose par exemple
les revers électoraux enregistrés dans
ces mêmes régions : « je rappelle quand
même qu’il y a des grandes villes et des
métropoles qui ont été perdues par le
pouvoir dans des pays aussi différents
que la Turquie ou la Hongrie et que Trump a perdu les présidentielles aux ÉtatsUnis...».
© Serge d’Ignazio
que les résultats référendaires au Chili,
électoraux en Bolivie, et même aux USA
sont des freins notoires à l’avènement du
pire.
RAPPORT DE FORCES,
RAPPORT D’ÉMEUTES
A la lecture du dossier « rapport de forces, » un angle mort ne
masque-t-il pas la problématique des émeutes ?
Dans ce rapport de forces, l’affaiblissement des valeurs et des
perspectives d’émancipation, de rupture avec le capitalisme,
ne signifie pas un anéantissement général de la capacité de rébellion. A l’impossibilité de s’exprimer, au sentiment de ne pas
être entendu, à la douleur de ne pas être reconnu ni respecté,
une fraction - non négligeable - de la population, en particulier
des dominés-es et discriminés-es, faute de se faire entendre,
oblige à voir. Il ne s’agit pas ici des dérapages qui suivent et
accompagnent des manifestations (comme les Gilets Jaunes).
Les émeutes ne sont pas seulement un mouvement exacerbé de
la colère. Elles sont pour une part un outil de revendication politique. Qui peut ignorer la discrimination au faciès après Cincin-
nati et Atlanta ? Qui peut nier les violences policières en quartiers populaires après 2005 ? Qui parle de ces mêmes quartiers
quand ils ne brûlent pas ?
La persistance des discriminations nourrit le sentiment qu’il faut
« tout casser. » L’extrême contrainte de « la vie politique » dans
le « champ de tir » des institutions oblige d’une certaine façon
celles et ceux qui ne s’y reconnaissent pas, ou plus, à se faire
écouter ailleurs.
Non seulement les émeutes sont un effet ; elles sont aussi un
symptôme de la profondeur du déséquilibre des rapports de
force dans la société. Et pour cela elles en sont aussi un vecteur.
Patrick Vassallo
15
DÉLICIEUX
Territoires solidaires en
commun
Le travailleur de la nuit
Peut-on tomber amoureux d’une figure
peinte ? Yannick Haenel nous raconte la
découverte d’une toile du Caravage « Judith et Holopherne » quand il a 17 ans et
son désir naissant pour les femmes. Il ne
voit que la beauté de Judith. Il découvrira
bien plus tard que cette beauté peut être
machiavélique. Ce récit nous entraîne au
fil des pages sur la vie courte et mouvementée d’un des plus grands peintres de
la Renaissance : Caravaggio. Il a révolutionné la peinture et influencé beaucoup
de ses contemporains. Nicolas Poussin
par dépit a affirmé que « Caravage est
venu pour détruire la peinture. » Le récit de Haenel non seulement nous fait
découvrir la vie de Caravage mais il interprète comme un historien de l’art les
toiles du grand maître italien en montrant
son génie créateur et son inspiration puisée dans la bible. Ce livre est un petit
bijou à lire et à offrir pour tous les amoureux de la peinture de la Renaissance.
Une modernité du clair-obscur.
Un petit coup de cœur pour cette BD.
Matz pour le scénario et Chemineau pour
les dessins nous racontent l’histoire vraie
d’Alexandre Jacob cambrioleur ingénieux,
et anarchiste. Ce personnage attachant,
plein d’humour et de tendresse grandit
à Marseille, s’engage comme mousse
au grand dam de sa mère, vit durement
sur les bateaux, traverse les océans, et
comprend vite que partout la misère, et
l’exploitation gangrène le monde. Il ambitionne de devenir capitaine et se forme,
mais la maladie l’empêche de mener à
bout son projet.
Il découvre la politique, fréquente les
milieux anarchistes très actifs dans les
années 1890. Il travaille pour devenir
typographe puis pharmacien mais la justice et la police le poussent à devenir
cambrioleur.
Les aquarelles aux couleurs chaudes de
Chemineau nous plongent dans l’atmosphère de l’époque. Les vues de Marseille
et de Paris sont magnifiques. Les personnages paraissent réels.
Enfin les séquences du procès en forme
de flash-back nous permettent de mieux
saisir le cheminement de ce rebelle au
grand cœur.
Daniel Rome
La Solitude Caravage, Yannick Haenel, Éditions Folio chez Gallimard, Août
2020, 336 p.
Sylvie Larue
Le travailleur de la nuit, Matz et Chemineau, Éditions Rue de Sèvres 128 p.
21x27,5 cm, Avril 2017, 18 €
La Solitude Caravage
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Israël le voyage interdit
L’origine du monde
Le réalisateur : Jean Pierre Lledo né en
Algérie d’une mère juive et d’un père
communiste il y a 73 ans. En 1993 il doit
quitter l’Algérie menacé de mort par les islamistes. Une partie de sa famille est allée
vivre en Israël. C’est alors qu’il entreprend
de venir en Israël avec sa fille et rencontrer cette partie de la famille partie vers la
« terre promise ». Le documentaire comprend 4 films : Kippour, Hanouka, Pourim
et Pessah. Le fil conducteur est une visite
de l’histoire de cette partie du monde déchirée par une guerre qui a commencé
en 1947, mais aussi la transmission à sa
fille Naouel du patrimoine culturel familial
longtemps tu. En Algérie et dans les pays
arabes, aucunes références à la TV ou
dans les journaux d’Israël, mais on parle
de l’entité sioniste. Lledo explore les raisons qui opposent cruellement les juifs et
les arabes. Un film à voir pour questionner
et mieux comprendre le conflit israélo-palestinien, même si ce n’est pas l’objectif
premier du réalisateur. Rappelons aussi
que J.P Lledo a réalisé plusieurs films documentaires et écrit deux livres dont Le
monde arabe face à ses démons : Nationalisme, Islam et Juifs, 2013.
Vous connaissez tous le tableau de Courbet représentant le sexe d’une femme allongée. Le film réalisé par L. Lafitte s’en
inspire ? Oui et non … L. Lafitte s’inspire plutôt de la pièce de théâtre mise
en scène par Jean Michel Ribes. Le film
commence par un écran noir et l’on entend un couple faire l’amour. Mais Jean
Louis ne ressent rien. Son cœur s’est
arrêté de battre. Pourtant il continue sa
vie, va à son travail, déjeune avec son
ami vétérinaire. Est-il mort ou vivant ? Ni
sa femme ni son ami vétérinaire (Vincent
Macaigne) ne trouvent d’explications rationnelles à ce phénomène étrange. Sa
femme Valérie (Karin Viard) l’emmène
voir sa coach un peu gourou, connectée
aux forces occultes. C’est alors qu’elle
(Nicole Garcia) propose pour le sauver
et qu’il puisse retrouver une vie normale,
de prendre en photo le sexe de sa mère.
Ce film très bien construit est surtout
très drôle. Il y a des comiques de situation avec Vincent Macaigne et Karine
Viard désopilants à souhait. Ce film hilarant peut s’inscrire dans la lignée de Luis
Bunuel et Marco Ferreri.
A ne pas manquer…
Louis Champseix
Le voyage interdit, Documentaire réalisé par Jean-Pierre Lledo, sortie octobre 2020, 2h20.
Meurtres à Tombouctou
La mort d’un jeune touareg met en ébullition, cet environ de Tombouctou que
l’enquête de la police locale, de l’antiterrorisme (français) et les traditions coutumières peinent à calmer.
Ce petit roman policier nous plonge au
cœur d’une tranche de vie, dépeignant la
vie d’un village et d’une tribu touareg, le
climat délétère qu’un tel acte peut provoquer et les liens tenus, parfois opaques,
ancestraux souvent, qui font « vivre ensemble » dans ce bout de Mali.
Le commissaire Habib aura bien du mal
avec ce « crime d’honneur, » qu’évoque
cette œuvre de Moussa Konaté, qui fut
directeur du festival Étonnants Voyageurs de Bamako.
Les polars qui se situent en Afrique de
l’ouest et qui échappent à la caricature
néocoloniale sont assez rares pour être
signalés. Surtout lorsque - comme c’est
le cas ici - ils sont bien écrits et l’intrigue
soigneusement nouée.
Patrick Vassallo
Daniel Rome
Meurtres à Tombouctou, Moussa KONATE, éditions points Métaillé, 2015,
211 p. 6,40 €
L’origine du monde, Laurent Lafitte, Sélection officielle du Festival de cannes, 1h38
Voici les anti-actes du 3eme colloque de
Cerisy sur les communs. Leurs auteurs
nous livrent un récit à vivre, mêlant expériences de terrain et réflexions « intellectuelles, » ancrant les débats sur des sujets
concrets, articulant dans une dynamique
en recherche la forme des discussions et
leur fond, les conditions matérielles de ce
colloque et ses suites idéelles.
Au-delà du « label » Économie Sociale et
Solidaire, c’est la construction solidaire
qu’interrogent les participants-es, ce faire
commun qui n’est pas (seulement) une
nécessité mais un processus, vital, pour
réussir à être en relation. Est soulevée la
problématique du tissage partagé de solidarités entre acteurs publics et privés,
entre personnes et groupes (familles) vulnérables, et en quoi les Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) sont un
outil mobilisable.
La notion de translocalisme tente ici d’offrir une perspective renouvelée à l’articulation de pratiques locales émancipatrices et d’une mondialisation globale qui
appelle transformation.
Le tour de France annoncé reliant Chaillol
à la Bretagne, le pays de Grasse à Thiers,
éveille notre curiosité sur la diversité de
ces communs, loin d’une économie de
pauvres assignés à la survie. On attend
avec impatience un développement sur la
transformation des territoires que cette dynamique sera (serait) capable d’impulser.
La culture n’est pas oubliée et les grandes
entreprises interpellées ont singulièrement « manqué » de vigueur. Qui s’en
étonnera ?
Une lecture vivifiante.
Patrick Vassallo
Territoires solidaires en commun, Elisabetta Bucolo, Geneviève Fontaine, Hervé Defalvard, éditions de l’atelier, 2020,
204 pages, 16 €
17
CULTURE
Sur les écrans de nos identités
Dans « Josep », Aurel signe un
portrait touchant et magnifique
d’un artiste engagé dans la Retirada, autour de l’amitié naissante
de ce résistant avec un gendarme
que ce film porte à voir les renoncements du gouvernement français de l’époque, les conditions
de survie dramatiques de ces
réfugié.e.s. Il rend ainsi une belle
visibilité à tout un pan de l’identité
d’une partie de l’immigration espagnole.
De l’autre côté de l’Atlantique,
« Antebellum », film US de Gerard Bush et Christopher Rensch,
s’il hésite entre gore et social,
offre l’écran au racisme suprématiste blanc décrivant image après
image les mécanismes de cette
« folie », sa légitimation par une histoire fantasmée qui fait le ménage
dans les mémoires individuelle et
collective pour forger un « homme
nouveau » immémoriel. Bigrement
d’actualité !
« Adolescentes », de Sébastien Lifshitz, décrit la formation de
l’identité de deux jeunes adultes. Ces 5 années où la fin de
l’adolescence se métamorphose dans le monde adulte. Nos deux
brivistes indiquent aussi ce que porte une ville moyenne de région, dans la construction de personnalités. Cette tranche de vie
regarde ces lycéennes ordinaires de la « génération No Future ».
Ce film n’évite ni les écarts de classe, ni le travail du temps, ni
une dissociation physique qui est
moins celle de la corpulence que
de la représentation des normes.
Ou l’histoire d’identités maltraitées,
contrariées qui doivent affronter les
normalisations et les rigueurs d’une
société préoccupée de nous digérer
avant que d’offrir le visage du possible. Celui que les premières fois
laissent entrevoir : être soi…Et c’est
d’une tempête d’identité que nous
entretient
18
Maïwenn dans son « ADN ».
Divorcée mère de 3 enfants,
Neige s’était construite un
« soi » avec son grand-père
algérien, pilier d’une famille
où rancœurs et perversité font
plus que force et que rages…
Comment se maintenir dans ce
maelström ? La mort du grandpère va soulever bien des questions d’identité, une quête des
origines. Entre France et Algérie, ni d’ici ni d’ailleurs… racisme et xénophobie peuventils muter un ego ?
Dans « Ondine », Christian
Petzold signe une heure et demi
d’une intense poésie qui démontre que l’identité d’un être
humain n’existe pas sans son
rapport à l’autre, aux autres ;
sans être aimé, aimant la petite
Sirène n’est qu’illusion. Ondine
se déploie entre conte et archéologie. Un film qui rappelle en ces
temps d’autoritarisme hygiéniste
que l’être humain est d’abord un
animal social.
Ces films de l’année 2020 centrent le propos sur les identités, leur quête, leur mise en fantasme et leur mythomanie
sociale. Au fond ce cinéma-là n’illustre-t-il pas les incertitudes de l’aventure individuelle dans l’atomisation de repères collectifs ? ne laisse-t-il pas entrevoir un nécessaire
dépassement des couleurs pour l’interaction des « soi ».
On regrettera sans doute que ces regards survalorisent les
personnes au détriment d’une geste collective. Mais ces
signaux ne signifient-ils pas que la question des droits individuels ne peut
pas être déconnectée de la trame
Patrick Vassallo
sociale qui en fait le contexte ?
Au-delà du florilège de ces sorties cinématographiques on se
réservera (quand les salles seront rouvertes…) le plaisir de
ces découvertes… et de leurs réflexions.
PHOTOGRAPHIE :
D’HUMANISTES RÉCITS VISUELS
Au moment où le prix Woman in Motion est attribuée à Sabine Weiss, dernière représentante de la « photographie humaniste », nous constatons une situation paradoxale. Si Visa pour l’image à Perpignan ou Arles
portent haut l’exposition et la galerie photo, le secteur a lui aussi beaucoup souffert ces dernières années. Il n’y
a pourtant jamais eu autant de photos prises, par des journalistes qui écrivent et illustrent, par des citoyen.ne.s
attentifs à leurs voisinages, par toutes sortes de smartphones qui alimentent les réseaux sociaux, les dénonciations ou les disques durs. Mais les
récits photo se font rares. L’accumulation de clichés se conjugue à
l’éphémère, même les micro vidéos
sur les réseaux sociaux soulèvent
de l’émotion, mais ne montrent pas
des morceaux de vie. Le flash remplace l’album…Paradoxe qui risque
d’éteindre mort née toute mémoire
de l’humanité. De son observation ;
pour comprendre.
L’interdiction (de la diffusion) de
photos d’actions policières nous
rappelle cependant que l’image
peut être aussi lanceuse d’alerte.
Parfois même preuve et témoin.
A Milan Kundera qui écrivit que
“La mémoire ne garde pas des
pellicules, elle garde des photos.”,
Marc Riboud répondait que “La
photographie ne peut pas changer
le monde, mais elle peut montrer
le monde, surtout quand le monde
est en train de changer.”
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CULTURE
Spectacle Vivant :
changer de paradigme !
Traverser un inédit a ce parfum doux-amer qui transforme le futur en
brouillard d’hypothèses entremêlées. Le secteur culturel, déjà bouleversé par plusieurs décennies d’attaques en tout genre, traverse la crise sanitaire à tâtons comme effrayé de voir s’effondrer un édifice si âprement
acquis. Et pourtant, il est grand temps de changer de paradigme.
Les enjeux sont multiples. L’Opéra de Paris annonce plus de 50 millions de déficit
(que l’État comblera sans trop de doutes...). Si les dispositifs de soutien sont
nombreux, les impacts économiques commencent à apparaître dans leur effet
rebond. La baisse de la diffusion des spectacles met les structures de création
dans un déficit structurel et une difficulté à se projeter assez vertigineuse.
Les cotisations salariales et patronales du secteur sont en chute libre. L’organisme
de formation du secteur culturel, l’Afdas, annonce la suspension des prises en
charges des formations des intermittents. La médecine du travail (CMB) appelle
à l’aide et annonce qu’elle pourrait ne pas survivre à 2021. Les caisses sociales
(retraites, congés spectacles…) sont toutes dans le rouge. Les syndicats de salariés demandent 40 millions à l’État pour sauver les meubles. Si la prolongation de
“l’année blanche” pour les indemnités des intermittents semble une évolution nécessaire, elle ne ralentira pas la diminution considérable de l’emploi salarié dans
le secteur et pourrait même participer à l’aggraver. La possibilité de la disparition
de certains conquis est une réalité et les décisions prises par le pouvoir dans les
mois qui viennent auront des conséquences durables.
Le noyau de la nouvelle équipe est constitué de
Benoit Borrits, Bruno Della Sudda,
Catherine Destom-Bottin,
Laurent Eyraud-Chaume, Bénédicte Goussault,
Alain Lacombe, Sylvie Larue, Laurent Lévy,
Christian Mahieux, Henri Mermé, André Pacco,
Makan Rafatjou, Daniel Rome, Pierre Zarka,
Patrick Vassallo, militant-e-s de l’émancipation
cheminant au sein de l’ACU, l’Union
communiste libertaire, d’Attac, de l’Association
Autogestion, du réseau AAAEF, d’Ensemble, de
FI, du NPA, de l’OMOS, de Solidaires ...
Comme dit dans le Manifeste, nous voulons
élargir l’équipe et fédérer d’autres partenaires.
Pour donner votre avis écrire à cerises@
plateformecitoyenne.net
Abonnement gratuit en ligne
http://plateformecitoyenne.net/cerises
https://ceriseslacooperative.info/
C’est dans ce contexte pour le moins morose et alors que le deuxième déconfinement s’annonce lentement, que le Syndicat des arts vivants (Synavi), qui regroupe
près de 500 compagnies et lieux indépendants, met les pieds dans le plat de la
politique culturelle. Il propose le 10 décembre (en visio…) “Jamais trop de compagnies - premières assises du tiers secteur du spectacle vivant”. Pour le Synavi,
la crise a mis en lumière “les limites d’un système : course aux créations trop peu
diffusées, spectacles mal aboutis par manque de temps et de moyens, multiplicité des appels d’offres, des appels à projet, inégalités territoriales pour les acteurs comme pour les habitants, paupérisation des artistes…”. Les compagnies
et les lieux intermédiaires sont les principaux employeurs du spectacle vivant et
les grands oubliés des plans de soutien et de relance. Avec ces assises, ils ne
souhaitent plus être la variable d’ajustement et proposent même de réinventer un
“paradigme” qui privilégie le temps long, la coopération, la présence territoriale. Ils
dénoncent cette mascarade du ruissellement (qui prétend qu’en aidant les “gros”,
on soutiendrait les “petits”...) et préfèrent une “irrigation par la racine”.
Ces assises, qui s’additionnent aux multiples publications et prises de paroles
depuis le début de la crise, racontent en creux l’émergence
d’un tiers secteur, ni concurrentiel ni étatique, qui est
Laurent
déjà une réalité et qui peine à trouver sa place dans
Eyraud-Chaume
une histoire de la décentralisation trop souvent pyramidale. La réflexion est lancée pour mieux définir ce
“déjà-là” qui mêle éthique sociale, responsabilité environnementale, parité, droits culturels, créations avec
la population, questionnement sur la relation art-société, relation avec le secteur de l’économie sociale et solidaire… Et si la crise accouchait d’un futur désirable ?
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